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Je me nomme Tirea'Hufweyä, fils adoptif de Tsamkxu, mon père, et Sezmokrì, ma mère, de la tribu des Pamtsekato. "Esprit du Vent", c'est ainsi qu'on m'a appelé. Pourquoi?...Voici l'histoire que mes parents m'ont conté, une partie de mon existence...

Tsinllkto, la tsahik, était troublée par ce qu'elle avait lu dans le ciel et dans les couleurs de la nuit. Un drame se préparait, mais ce malheur serait accompagné d'un événement inattendu et heureux.

Le soir même, la forêt était en alerte, silencieuse, comme aux Premières Brumes du Temps. Tsinllkto scrutait le ciel d'un regard anxieux. Une transe s'était emparée des racines et des branches. Quelque chose de sombre approchait, l'air lourd en était témoin. Un brame fit voler en éclat ce silence, puis un autre, et une soudaine confusion s'empara des êtres vivants. Les yerik zigzaguait entre les arbres, fuyant une menace invisible, et le martèlement sourd des angtsìk et des palulukan terrorisait les enfants. Mais ce n'était rien comparé à ce qui attendait mes actuels frères et soeurs...
Dans ce vacarme effroyable, un premier éclair déchira le ciel frappant les Pamtsekato de stupeur. Le vent se frayait un passage, même à travers les arbres pourtant épais. Le clan se réfugiait comme il pouvait dans le Kelutral, abandonnant toute tâche. Une pluie battante se mit à tomber. Un déluge d'eau et de vent s'abattit sur la forêt. Tous courraient, trébuchants sur les racines, sautant en tous sens, les enfants pleuraient, appelaient leur mère. Certains furent emportés par le vent, même les adultes ne résistaient pas tous, si forts et puissants qu'ils étaient. Des volées d'ikran parsemaient le ciel zébré de lumière, puis soudain...plus rien...un calme absolu. Les nuages se dissipèrent, les feuilles retombaient en silence. Des gouttes s'écrasaient sur le sol boueux en un rythme lent, ruisselant le long des troncs et des lianes. Plus aucun cri, seulement des larmes. Des larmes de peur, des larmes de tristesse, un faible murmure montait du plus profond des racines du Kelutral.
Quelques Na'vis se risquèrent en dehors de l'Arbre-Maison, puis tous sortirent. Par chance, aucun des enfants n'avait péri, seulement quelques blessés, mais rien de grave. Sezmokrì, s'approcha du métier à tisser qu'elle avait laissé en plan. Elle cherchait sans espoir le travail qu'elle avait accompli durant toute la journée, tremblant encore de peur, quand elle aperçu une chose insolite dans une feuille de paywll. Un petit être bleu pâle, qu'elle n'avait jamais vu au sein du clan auparavant. On m'amena à Txurkeiylin, l'olo'eyktan de la tribu. Après s'être concerté avec la tsahik, il décréta que ma garde serai confiée à Sezmokrì et Tsamkxu, et me baptisa Tirea'Hufweyä , "Esprit du Vent", en référence à cette nuit si particulière, qui est restée gravée dans la mémoire du clan sous le nom de «Tsawl-a Tompa Txon», la nuit de la Grande Pluie.

Eywa m'a fait cadeau de cette vie au sein des Pamtsekato, mais je ne m'y sens pas chez moi.
Lors de mon 21ème cycle de vie, je suis allé voir Tsinllkto, sur sa demande.

- Ohe ngáti kámeie tsahik Tsinllkto. (je vous voie tsahik Tsinllkto)
- Káme ngát Tirea'Hufweyä. (je te voie Tirea'Hufweyä)
- Tu voulais me voir?
- Je sens que je vais bientôt rendre à Eywa ce qui lui appartient, et tu es maintenant assez mature pour que je te révèle ce que tu dois savoir à propos de tes origines.
- Oe tìng mikyun nga. (je t'écoute)
- Lors de Tsawl-a Tompa Txon, Eywa m'a parlé, elle m'a dit qu'un na'vi d'ailleurs allait arriver, qu'en grandissant il deviendrait puissant et rapide, mais qu'à trop vouloir se rapprocher de la vérité, il se brouillerait l'esprit. Tu es encore jeune malgré toi, Tirea'Hufweyä, je sais que tu partiras un jour, pour découvrir d'où tu viens réellement, mais ne joue pas avec le feu...

Je rentre désormais dans mon 22ème cycle de vie et je prépare ma célébration de l'Uniltaron. Je ne cesse de retourner les paroles de notre défunte tsahik dans ma tête...
C'est décidé, une fois que je serai un homme, je partirai.

Le village était en transe ce soir-là, moi tout particulièrement. On pouvait entendre le son profond des chants du clan, accompagné de Ekong Txe'lanit (le rythme du coeur), une base rythmique symbolisant le passage et la fougue chez les Pamtsekato. Tous étaient assis en cercle, le visage tourné vers le ciel, main dans la main. Kxáyune, la nouvelle tsahik, avait pris place au centre de ce cercle, au côté de Txurkeiylin, notre vieil olo'eyktan. Une rumeur s'éleva, suivit par le silence, alors que je m'avançai au milieu du cercle. Les yeux se détachèrent du cercle pour marquer ma marche du regard. Kxáyune me fixa pendant quelques secondes, qui me parurent des heures.

- Ayoengìl lu tsatseng fpi Tirea'Hufweyä ! (nous sommes ici pour Tirea) Il s'est préparé à passer sous le regard de notre mère la Terre, qui lui indiquera le sentier à prendre dans la forêt de la vie. Tirea'Hufweyä, fils de Tsamkxu et Sezmokrì, enfant d'Eywa et frère des Pamtsekato, tu es prêt pour l'Uniltaron. Approche.

Je m'exécutai, et ne pus m'empêcher de jeter un bref coup d'oeil en direction de la chan'tu gor'ek nuuto (jarre de pierre) dans laquelle était enfermé mon kali'weya (arachnoïde). J'arrivai désormais à hauteur de la tsahik. Elle tenait son poing fermé.

- Que commence l'ouverture de la chasse, murmura-t-elle.

Les mains du clan recommencèrent à battre sur les peaux de pa'li tendues, à mesure que la Kxáyune levait ses bras en direction du ciel. Elle les abaissa et le silence prit possession de l'endroit. Sa voix puissante vint le briser.

- Fì'u lu Swok'ngawng ! (voici le vers sacré) Ô détenteur des clés du songe éveillé, te nourrissant des entrailles du Grand Arbre, introduit Tirea'Hufweyä au portes du rêve !

C'est alors qu'elle ouvrit la main, découvrant un eltungawng qui se tortillait au creux de sa paume.

- Mâche, me dit-elle en portant le vers à mes lèvres.

Bien que réticent, je m'efforçai de mâcher malgré moi. Alors qu'un liquide âcre coulait dans ma gorge, je fus soudainement pris d'un sentiment d'euphorie mêlé à un tonnerre de sons et de lumières. Des volées d'ikranay me dansaient devant les yeux, sur un fond de ciel mauve et orange. Une voix lointaine et éteinte parvint à mes oreilles :

- Maintenant que tu es passé dans l'autre monde, plie ton esprit à ta volonté.

Je sentais que mon âme se dérobait, comme une eau qui coule entre les mains et qu'on ne peut stopper. Je la sentais partir à mesure qu'une douleur lancinante croissait dans tout mon corps. J'allais faillir à la première partie de l'épreuve...

- Ftang ! Je t'ordonne de t'arrêter !

Une brusque secousse répondit à mes mots. Un contact s'établit alors entre mes pieds et le sol, je reprenais le contrôle.

- Eywa en soit témoin ! Tu as ouvert la grande chasse, annonça Txáyune. Que l'olo'eyktan prenne part à la cérémonie.

Un raclement de couvercle parvint à mes oreilles malgré le tumulte qui confus qui régnait dans ma tête. Des fourmillements parcoururent ma nuque. Une douleur affreuse m'assaillit. Mon kali'weya avait piqué. Le ciel mauve s'assombrit tout à coup et les ténèbres envahirent les environs. Je m'appliquai à saisir les paroles de la tsahik qui résonnaient avec faiblesse.

- Tu es au coeur de ton âme, au plus profond de ton être, où seul toi peux accéder. Tu dois désormais trouver ta voie et te frayer un chemin à travers la jungle de ton esprit. Ton animal te sera alors révélé.

Ce ne fit qu'accroître mon effroi. Et si je ne trouvais pas mon animal ? Ou pire, si je ne sortais jamais d'ici ? La douleur était insoutenable, elle avait déjà gagné la majeure partie de mon corps. Je devais avancer.

Le paysage semblait se clarifier à chacun de mes pas. J'étais au beau milieu d'une plaine, et le vent sifflait à mes oreilles. Il me disait de courir, aussi vite que je pouvais. Cours, toujours cours, plus loin, plus vite. Le sol se défilait sous mes pieds, je n'avais même plus l'impression d'avancer. Je fus pris d'un engourdissement soudain. Tant pis. J'écoutai mon instinct, qui m'exhortait de continuer. Le sable succéda à l'herbe, j'avais la gorge en feu, et pourtant je continuais de progresser comme je pouvais dans ce demi songe. L'air s'humidifia, une pluie chaude se mit à tomber, me rafraîchissant. Je m'aperçu que je marchais désormais sur un tapis d'humus. Je me trouvais dans une forêt peuplée d'arbres immenses, aux allures de grands seigneurs. Leurs branches s'élançaient vers les cieux comme pour se vanter de pouvoir les atteindre. Des cris perçants parvinrent à mes oreilles, et pourtant, j'avais beau scruter le feuillage, rien ne bougeait, pas même les feuilles. Une douleur fulgurante me transperça de part en part. Le poison du kali'weya faisait son effet, j'étais littéralement plié en deux. Lorsque je portai à nouveau mon regard vers le feuillage, c'était couché sur le dos, haletant. Mais quelque chose avait changé. Des dizaines de paires d'yeux étaient braquées sur moi. Des prolémuris, accrochés aux lianes environnantes. Comment avaient-ils pu approcher sans que je m'en aperçoive ? L'un d'eux descendit au sol, maladroitement, forcé à ramper pour avancer. Sa morphologie l'empêchait de se mouvoir correctement, mais quelque chose était en train de se produire. Une lumière aveuglante descendit du ciel et frappa l'animal, l'entourant d'un halo. Il se vit pousser des jambes, ses deux paires de bras n'en formèrent plus qu'une. Il grandit jusqu'à avoir la taille et la posture d'un na'vi. Son visage était dissimulé par un masque d'argent. Il me tendit la main. Je la saisis, et me relevai au milieu du cercle. La douleur qui torturait mon corps s'était estompée. Kxáyune prit la parole.
- Ma smuktu ! Tirea'Hufweyä est désormais...un homme !

Des clameurs s'élevèrent, témoignages de bienvenue et hourras. On me dessinait le tatouage rituel qui accompagnait l'entrée dans un nouvel âge sur le visage. Certains membres du clan me donnaient l'accolade, d'autres m'invitaient à une grande chasse. Tous prévoyaient de donner un banquet en mon honneur.

Je me sentais renaître parmi les miens.

Et malgré tout, je devais partir.

Encore une fois, les paroles de Tsinllkto résonnaient dans mon esprit, fraîches comme si elles avaient été prononcées à l'instant. Je revoyais le visage de la vieille tsahik, piqueté de nectar de txumpaywll (un rite pré-mortuaire propre aux Pamtsekato). Elle savait déjà que je partirai…Eywa avait dû le lui souffler.

Je sortis de mon Eywa k'sey nivi'bri'sta (hamac) le plus silencieusement possible. J'avais la chance d'être particulièrement souple et discret, ce qui ne m'empêcha pas de trébucher sur la première branche venue. J'étais fébrile et je tremblais. D'excitation, et surtout de la peur de l'inconnu.

Pourquoi partir ? Comme je l'ai déjà évoqué précédemment, je ne me sentais pas à ma place parmi les Pamtsekato, il fallait que je parte. Cela peut paraître ingrat, et j'en étais pleinement conscient, mais une force invisible me poussait à quitter ce clan qui m'avait élevé plus de vingt cycles durant.

Je glissai avec agilité le long des dernières branches du Kelutral. Les dernières bioluminescences quittaient déjà les arbres et le plantes environnantes. Je me dirigeai en vitesse en direction des eyaye (fougères géantes) qui jouxtaient le plan de travail de ma mère adoptive. J'y avais caché un sac en estomac de pa'li contenant de la nourriture en quantité ainsi que mon couteau. Un magnifique cadeau de mon père. Son manche était fait du bois de l'arbre-maison et recouvert par une membrane tendue d'ikran. La lame, gracieusement recourbée et d'un blanc nacré, était taillée dans une ramure d'angtsìk. On pouvait y observer, finement ciselés, deux pictogrammes. Le premier, composé de 3 traits ondulés, évoquait le vent qui m'avait porté au sein du clan. Le second, qui représentait la curiosité, s'agençait en un arc de cercle recoupé par une ligne et bordé des deux côtés par un angle. Je le sortis un instant pour le porter à ma poitrine, et ferma les yeux. Devant moi dansèrent les moments de joies passés avec mes parents et le clan. Je fus pris d'un remord. Et si je faisais une erreur ? Peut-être étais-je encore trop jeune ? Pourquoi ne pas attendre encore ? Je rouvris les yeux, et d'une main assurée replaça le couteau dans le sac aux cotés des vivres. Non, je ne reviendrais pas sur ma décision.

Alors que d'une main je saisissais mon arc et mon carquois adossés à une racine, mon regard se porta une dernière fois sur cet arbre dans lequel j'avais grandi aux côtés de mon clan. Une larme glissa sur ma joue et vint rouler à mes pieds. Les grandes lianes qui pendaient le long des arbres murmuraient leur mélodie au gré de la brise matinale et le bruissement imperceptible des feuilles chantait mon départ. Ma main essuya mon visage humide.

- Eywa ayngahu, ma smukan si smuké.

Une bourrasque de vent vint sécher les dernières gouttes qui constellaient mon visage. Alors, le sourire aux lèvres, je fis volte-face, et partis.

Ça y est, j'étais partis, le commencement de tout autre chose. Une nouvelle vie, un nouveau monde, peut-être même une nouvelle famille, mais surtout des réponses à mes questions. D'où venais-je ? Quelle était ma véritable famille ? Avant la Tsawl-a Tompa Txon, y avait-il quelqu'un pour me chérir ?

À mesure que je marchais, ces pensées s'estompèrent peu à peu. Il devait être neuf heures passé quand mon estomac me tira de ma rêverie et me rappela à des besoins plus matériels. Je défis le lacet tressé qui permettait la fermeture de mon sac, et sortit de celui-ci quelques baies que je grignotais une à une. Une fois ma faim apaisée, je me remis en route.

Après quelques pas seulement me vint alors une pensée toute naturelle. Quelle route ? En effet, je marchais tout droit depuis plusieurs heures, le nez au vent et simplement heureux de ce nouveau départ, sans me soucier nullement d'où j'allais arriver. Quel skxawng je faisais. Je fis demi-tour et me rassis sur la racine où je m'étais arrêté précédemment pour tenter d'établir un itinéraire intelligent, sinon logique.

- Très bien, je cherche quoi au juste ?... J'en sais rien, c'est bien ça le problème…

En réalité, je n'avais aucune piste de départ, et c'est bien ça qui m'ennuyait. Et plus que m'ennuyer, cela me frustrait. J'enfouis ma tête dans mes mains au vue d'une longue réflexion. À force de tourner et retourner le problème dans tous les sens, je ne faisais plus attention à ce qui se passait autour de moi. Un craquement de branche et un léger couinement me fit relever les yeux. C'est alors que j'aperçus un animal fouiller dans mon sac de provisions.

- Eh lâche-ça, c'est à moi !!

Me jetant un regard apeuré, il tenta de se sauver avec son butin. Par chance, sa morphologie inadaptée au déplacement bipède ne lui fut pas d'un grand secours pour prendre la fuite, et il ne fit pas plus de vingt mètres avant de lâcher mon bien et disparaître dans le sous-bois. Un prolémuris. Je ramassai la viande séchée ainsi que les diverses baies et graines qui s'étaient échappées de mon sac. Une crainte me prit, et je plongeai anxieusement la main dans la besace. Au contact lisse de l'os verni, mon visage se détendit. Le couteau était toujours là. Je décidai alors de me confectionner une ceinture en liane afin d'y accrocher l'arme. De cette façon, elle me sera plus facile d'accès et ça m'évitera bien des frayeurs pour la suite du voyage.

J'attrapai la liane la plus proche, me rassit et commençai à l'attendrir en cassant les fibres compacts qui la composait, pour éviter que la ceinture ne m'entaille les chairs une fois finie. Tout en assouplissant le long végétal, je me replongeai dans mes pensées et songeai à la brève altercations que je venais d'avoir.

- Tout de même, c'est amusant que ce soit mon animal sacré qui tente de me voler ! pensai-je tout haut.

Soudain, un flash traversa mon esprit confus. Le prolémuris dardant vers moi un regard profond. Le masque d'argent. Mes pieds battant le sol dur clairsemé d'herbe, dans les grandes plaines. Puis le sable glissant sur ma peau dans le désert, et de nouveau la douce tiédeur de la forêt sur ma peau. Les différentes étapes de mon songe lors de l'Uniltaron ! Elles avaient un sens précis ! Il fallait que j'atteigne les grandes plaines, à l'Est. Là je demanderai conseil à la Tsahik du village d'Awkey, dans le clan des cavaliers des plaines.

Un vent nouveau d'espérance souleva mon cœur, et je me sentis emplis d'une énergie qui, me sembla-t-il, pourrais me porter jusqu'au bout du monde.

Ça ne sera malheureusement pas aussi simple.