Le doute entre parenthèses... par Peter Jackson
"Mettre le doute entre parenthèses..." Une expression qui décrit le rapport censé s'instaurer entre réalisateur et spectateurs. Un concept quelque peu désuet, empreint de cynisme, fondé sur le fait qu'accepter de croire au rêve pendant quelques heures est la clé d'un bonheur précieux. Cette mise en suspens de la réalité est à l'origine du contrat passé voici plus d'un siècle entre le cinéaste et son public.
Pour aller plus loin, encore faut-il qu'un film nous prenne aux tripes en nous propulsant dans un univers suffisamment envoûtant pour faire définitivement basculer la réalité dans l'irréel. La magie, lorsqu'elle se produit, est assez exceptionnelle pour laisser un souvenir impérissable à tous ceux qu'elle touche, quitte à bouleverser leur existence. Les rares films qui y parviennent bouleverse l'âme et le coeur, jusqu'à nous faire entrer de plein pied dans l'imaginaire. Personnellement, la chose met peut-être arrivé une dizaine de fois, et nul doute que chacun possède une dizaine de longs-métrage de ce genre dans son panthéon privé. L'une des grandes qualités du 7ème Art est son extraordinaire diversité ; le cinéma satisfait tous les goûts, tous les âges, toutes les cultures. Il arrive pourtant qu'une oeuvre transcende les barrières habituelles du genre et accède au statut de mythe, portée par son intrigue, ses personnages et ses dialogues, par sa capacité à toucher tous les publics. Un paquebot en train de couler, un homme qui tombe à la mer sous l'oeil de la caméra, un carton de roses contenant un fusil à canon sciée, un tentacule géant fouettant l'air, une air de jeu anéantie par une explosion nucléaire, un homme et une femme debout à la proue d'un navire, les bras au vent, le visage baigné de lumière... Autant d'images qui restent longtemps ancrées en nous après la projection, de scènes que nous revivons encore et encore, d'histoire qui déterminent en partie la nôtre.
Depuis que Titanic est entré dans l'histoire, il y a tout juste douze ans, Jim Cameron a souhaité se consacrer aux nouvelles technologies de l'image, signant plusieurs documentaires en 3D qui lui ont permis d'explorer les océans de la planète. Mais personne ne se doutait que Jim préparait déjà son prochain film de fiction en mettant au point des techniques révolutionnaires qui lui permettraient un jour de traduire à l'écran la force de son imaginaire. Hier encore, un film tel qu'Avatar n'aurait pas été réalisable, mais les progrès spectaculaires des images 3D ont permis à son rêve de devenir réalité. Grâce à Avatar, le cinéma fait un bon en avant considérable ; Jim Cameron permet l'avènement d'une nouvelle forme de réalité, aussi séduisante que dangereuse, radicalement différente de tout ce que nous avons pu connaître jusqu'à présent. Par la magie de la 3D, Avatar nous transporte à Pandora, une planète peuplée de monstres terrifiants, mais aussi de créatures étranges et délicates. Les jungles phosphorescentes de Pandora, belles et périlleuses, sont peuplées de Na'vis, des indigènes que viennent affronter des humains débarqués de la planète Terre, armés de machines futuristes.
Avatar ne se résume pas seulement à un fascinant mélange de drame et de science. Le film pousse à l'extrème l'art du détail : lorsque Cameron nous montre des costumes, nous en distinguons jusqu'aux boutons, de même qu'il décrit avec minutie les feuilles des arbres et les insectes qui y vivent. Davantage qu'un monde imaginaire, Pandora est un écosystème complet dans lequel plantes et bêtes donnent l'impression d'être différentes tout en restant familières, au milieu d'un décor d'une précision stupéfiante, Cameron allant jusqu'à décrire, dans toute leur complexité, les minéraux présents dans le sol comme les gaz de l'atmosphère pandorienne. Au passage il crée un monde unique obéissant à une logique et des lois propres. Mais au-delà de ce tour de force, Cameron évoque autant la place de l'Homme dans l'univers que notre capacité à aimer et à détruire. En effet, Avatar pose la question de l'identité profonde des désirs réels de l'humanité. Dans cette mesure, le film nous ouvre les yeux en apportant la preuve que notre destin est intimement lié à celui de notre espèce. Le message d'Avatar est simple : de notre volonté dépend notre avenir.
On a tendance à classer les réalisateurs en deux grandes familles : celle des "directeurs d'acteurs" et celle des "grands techniciens", comme si la réussite dans l'une de ces catégories excluait tout succès dans l'autre. Le cas de Jim Cameron illustre les faiblesses d'une telle théorie. Artisan génial, il est aussi un raconteur d'histoires hors du commun et un iconoclaste visionnaire. Jim ne s'est jamais contenté des outils que le cinéma pouvait lui fournir, mettant un point d'honneur à imaginer l'avenir du genre en repoussant constamment ses limites.
Il n'y a pas encore si longtemps, les manuels du type "La mise en scène en dix leçon" expliquaient aux candidats à l'aventure du cinéma l'art de faire un film, négligeant de préciser à quel point les limites techniques risquaient de handicaper leur travail. Je fais ici référence aux mannequins en caoutchouc et aux décors de pacotille dont l'artificialité bridait l'imaginaire du spectateur. Mais le cinéma de cette époque pas si lointaine à vécu. Les avancées techniques enregistrées depuis quelques années sont venues ouvrir en grand les portes du progrès. Pendant longtemps, Jim Cameron a rongé son frein, attendant impatiemment que le monde de l'image rattrape son retard et l'autorise à partager avec le grand public les décors qui enflammaient depuis toujours sont imagination.
Jim et ceux - artistes et techniciens - qui lui ont permis de réaliser son rêve nous permettent désormais de tourner les pages de ce livre en oubliant de mettre le réel entre parenthèse. Avec un tel chef-d'oeuvre, il n'est plus question d'exiger du public le moindre effort d'imagination. Il suffit de voir Avatar pour y croire.
Personnellement, je prends le pari que vous y croirez aussi.
"révélateur"